A distance de ce qu’on a traversé, il est temps que je pose mes ressentis.

C’est très bizarre mais j’ai l’impression, en revoyant mes posts de décembre, que je n’ai pas vécu cela. Je plains la personne que je lis, sauf que c’est moi.

Iris va bien (je commence par la fin de l’histoire…). Très bien même, mieux qu’on ne le pensait.

Elle n’a plus aucun traitement et selon la spécialiste lyonnaise « ses résultats sont comme si rien ne s’était passé ». 
C’est une excellente nouvelle, une belle phrase. Sauf que quelque chose s’est passé… Un tsunami nous a englouti. 
Si j’osais, je dirais que cette épreuve a été plus difficile que la naissance de Sam. Pour lui, on était hyper prévenus. On a douillé c’est une certitude, mais on était préparés. Depuis le cinquième mois de la grossesse ! C’est pas facile mais le fait d’anticiper permet de s’habituer et peut être, de mieux vivre l’ouragan. En plus, sans surprise, il se rétablissait comme les médecins nous l’avaient prédit. Chaque étape, chaque nouveau jour était anticipé.

 

Pour Iris rien à voir. Je me faisais trop de souci. Je suis infirmière donc je m’imaginais des choses, dixit la généraliste (la pédiatre était en congé maternité, pas de bol). Mon homme l’a emmenée pour la 3e fois ce midi du 13 décembre. Je pensais pyelonephrite, grosse infection urinaire. Elle lui a dit « pfff mouais, votre femme se fait des films. Si jamais ils lui font une prise de sang, ils ne trouveront rien. Sinon je rends ma blouse ! ».

C’etait moi, dans ma tête. Ma tête d’éternelle inquiète. Je suis rentrée du boulot. Iris était dans un état lamentable. Diarrhée, vomissements. Prise de poids alors qu’elle n’avalait rien (les œdèmes, on l’a su après…).

Je la retrouve amorphe. Elle ne tient plus sa tête, elle geint. Direction les urgences, encore. 
L’infirmière du tri la voit et nous fait passer en urgence dans un box. On lui préleve du sang. Elle hurle un peu mais pas longtemps. La médecin est inquiète de son état général. La tension est haute, beaucoup trop haute ! 
20 minutes plus tard, la toubib revient. Elle me demande de m’asseoir. Ça pue du cul… je le sais. Elle me parle de syndrome néphrotique. 
Pour être honnête, la nephro dans mes cours, c’était pas ma matière préférée. Le rein c’est compliqué. Ça gère plein de choses (tension, cardio, sang…). Elle me dit qu’un véhicule du SAMU est en route et qu’on a une place en réanimation à HFME. Ahhh cet endroit. Je lui dois tout, je l’aime et je le déteste. 
Je comprends qu’on ne rigole pas du tout parce que derrière elle, je vois rentrer 2 infirmières avec tout ce qu’il faut pour un gros bilan sanguin et la pose d’une sonde urinaire. Mon bébé va hurler, elle est cuite mais je sais qu’elle ne va pas aimer la suite. 
Je sais aussi que gérer un enfant d’une soignante ca met la pression. Alors je sors. Je veux prévenir mon homme resté à la maison avec Sam et fumer une clope.

Je sais que je le traumatise alors j’essaie d’être calme, d’être claire. 


On part avec le SAMU. Iris est câblée de partout. Elle s’endort tandis que le chauffeur fonce, girophare qui tourne et sirène qui pimponne quand on en a besoin. 
Arrivés à HFME, on me demande de patienter tandis que ma fille est installée.

Je suis en salle d’attente. Je retrouve mon bébé rapidement, elle dort tellement elle a été malmenée. Quand je rentre dans le box, on me propose un café. Le chef de service fait une echo cardiaque et me dit qu’il me parle après. 
Il m’explique le SHU. Vaguement, des souvenirs reviennent mais c’est loin.

Les minutes passent, les heures aussi. On lui passe de l’albumine. On refait des analyses. Iris est défoncée de fatigue. Moi je fais les 100 pas autour de son lit. Les soignants passent très régulièrement. Bref… je perds un peu les détails de ces heures bizarres. 
J’ai des flashs mais c’est flou. 
Mon homme est arrivé au matin. Sam a été déposé à l’école, il lui a expliqué et mis un mot à la maîtresse. 
Quand il arrive, une pédiatre de la réa nous propose d’aller dans une salle pour discuter. Elle nous présente les options. Voie centrale pour arrêter de lui faire mal. Mais Iris ne peut pas être anesthésiée normalement (les reins…). Est ce qu’on profite de cette micro anesthésie pour poser aussi un cathéter de dialyse péritonéale ? Bonne question… Sinon est ce qu’elle repasse au bloc le lendemain ? Bonne question. La DP, c’est pour les gens qu’on ne peut pas dialyser normalement (c’est à dire en filtrant le sang). Je vous laisserai chercher si ça vous intéresse. J’en ai pratiqué en stage, c’est une bonne technique mais sur mon bébé, c’est une autre histoire. 
Finalement, on va lui laisser une chance et ne poser qu’une voie centrale. Vite fait, bien fait. Et au moins on arrête de la piquer toutes les 2h ! 
Les heures passent. On découvre que son cœur a ramassé. Le cerveau non. 

Le SHU, si je résume brièvement, c’est une bactérie (E-Coli) qui se trouve dans le tube digestif des animaux. Cette bactérie produit une toxine (la shiga) qui vient détruire les globules rouges. Cela forme des petits caillots. Ils bouchent d’abord les reins. Puis le coeur et le cerveau. On en parle beaucoup en ce moment parce qu’il y’a plein de cas et qu’une célèbre marque de pizzas de supermarché est incriminée. 
Dans le cas d’Iris ce sont les reins qui ont pris. Heureusement si j’ose dire…

Ca nique tout ! Plaquettes, hémoglobine, fonction rénale, tension… des systèmes complexes, qui une fois abîmés, sont bien relous à rétablir. 
Une fois encore on a une étoile au dessus de nos têtes (HFME hein… pour ceux qui me suivent depuis longtemps…) et Iris a géré comme une guerrière ! 
Je n’ai pas pleuré. Je ne dormais pas. Je ne mangeais pas. Mais je ne pleurais pas non plus. 


4 jours de réa (l’enfer et pourtant, de jolies conversations avec les équipes). Des autres parents qui traversent le deuil. Les bips. La peur. C’est indescriptible. Vraiment, je veux dire que ce n’est pas juste une expression. La sensation de mon coeur qui se ferme. Je passe en mode machine. Je ne suis plus humaine. J’ai des œdèmes aux jambes. Je pense que j’ai fait une infection urinaire aussi mais c’est passé. Je ne peux pas l’expliquer. C’est un endroit sans notion du temps. La mort, la vie. Tout près. Et au milieu mon bébé de 10 mois. 


On passe en néphrologie. Super médecins, super équipe. Finalement Iris va devoir être transfusée, elle est beaucoup trop basse. Mon jules lui, ouvre les vannes régulièrement et se reprend. Moi non. Rien. 
On va rester 10 jours. Et puis on rentre. La peur au ventre toujours. Mais finalement, elle nous impressionne. Les traitements s’arrêtent petit à petit. On parlait de maintien en vie jusqu’à 6 ans pour pouvoir parler de greffe ensuite. Pour certains la greffe c’est une bonne nouvelle. Moi je sais que la greffe, c’est une rustine. Les anti-rejets a vie. La vie brisée par une santé précaire. 
On finit par en conclure qu’il faudra y faire attention à la puberté, puis pendant ses grossesses (elle a 10 mois quand on en parle, ça me parait tellement improbable…). La tension pourra se dérégler. Bref… s’il n’y a que ça…

La suite c’est qu’elle est en bonne santé. On la surveille, elle voit une spécialiste régulièrement. On lui fait beaucoup trop d’analyses d’urine et de prise de sang mais là aussi « s’il n’y a que ça ».

Apres Sam, quand on me disait : « mais maintenant il va bien ? » ça me mettait hors de moi. J’avais l’impression que du coup, cela niait tout ce qu’on avait pu vivre émotionnellement. C’est un peu pareil. 
Le craquage n’est toujours pas venu. Je n’ai toujours pas pleurer mais parfois, lorsque je m’endors, mon coeur revit ce que j’ai pu ressentir dans ce véhicule du SAMU, il se serre d’un coup et j’ai l’impression que je vais mourir. De peur. 


Mon homme va bien. Enfin je crois… il a géré comme il a pu sur le coup. Mais il libérait ses émotions et ça a du fonctionner. 
Sam a eu peur. Il a eu des mots et des questions très durs. Il la couve toujours autant. Il adore sa sœur. Il babille non stop ! 
Et Iris, elle va bien. Elle n’a pas de séquelles psychologiques je crois. La crèche a repris, elle y va de bon cœur. Elle n’a pas peur des gens. Elle mange de tout, avec les doigts et seule. Sa courbe a bien sûr été cassée. Mais elle a une bonne excuse ! Elle reprend bien. « On dirait » qu’il ne s’est rien passé. 
Et pourtant…

 

On ne sait pas comment elle a pu l’attraper. On ne cherche plus et on essaie de ne pas psychoter quand elle mange. Même du steak haché que je fais cuire beaucoup trop longtemps. 
Je découvre d’autres parents via une asso qui partage beaucoup de témoignages. Et je constate qu’en effet, on a eu une chance insolente. Nos mômes nous en auront fait voir de toutes les couleurs. On aura fait tous les services de l’hôpital des enfants de Lyon. 
Je l’aime cet endroit. Et je le déteste. Toutes les plus importantes émotions de ma vie sont posées dans les ascenseurs, les couloirs colorés de cet immeuble. Et je travaille à 15 mètres à vol d’oiseau. Vraiment, je le vois tous les jours. Je te regarde avec tendresse et avec tristesse. 
La vie a repris. On a des cicatrices invisibles dans nos cœurs de parents. Des anecdotes, des souvenirs et des émotions que certains ne comprendront jamais. Et c’est tant mieux… 

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